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Philippe Noiret

Né le 1er octobre 1930 à Lille, piètre lycéen, Philippe Noiret débute au théâtre : il entre en 1953 au Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar. Parallèlement, il fait avec Jean-Pierre Darras un homérique duo de cabaret, en particulier dans un sketch où, sous la perruque de Louis XIV, il malmène Jean Racine.

C’est au TNP qu’Agnès Varda (photographe de la troupe) le repère, en particulier dans Lorenzaccio, où il interprète le Duc. Elle le fait débuter au cinéma dans La Pointe courte (1954) : "Je lui trouvais une ampleur rare chez un si jeune homme, et une nuque exquise." Cheveux coupés au bol à la Jules César, il incarne un homme traînant son mal sentimental dans un bourg de pêcheurs près de Sète. "J’avais peur de cette aventure, dit-il. J’ai tâtonné. Finalement, je suis absent du film."

En 1960, le voilà se mouvant au ralenti dans Zazie dans le métro, de Louis Malle d’après Raymond Queneau. Un bide monumental, injuste. Il va alors aligner les seconds rôles, du Capitaine Fracasse à Clémentine chérie en passant par Thérèse Desqueyroux, de Georges Franju d’après Mauriac.

Deux rôles le poussent à abandonner les planches : ceux du châtelain résistant dans La Vie de château, de Jean-Paul Rappeneau (1965), et du paysan rêveur dans Alexandre le Bienheureux, d’Yves Robert (1967). Noiret saute alors des farces de William Klein (Qui êtes-vous Polly Magoo ?) à une adaptation de Marcel Aymé (Clérambard, où il campe un aristocrate ruiné) ou à une comédie en demi-teinte (La Vieille Fille, de Jean-Pierre Blanc, chronique d’un célibataire en vacances face à une Annie Girardot effarouchée). Il se laisse embarquer par Hollywood : Justine, de George Cukor (1968), L’Etau, d’Alfred Hitchcock (1969), La Guerre de Murphy, de Peter Yates (1970).

La gueule, la voix, le ventre

De Edouard Molinaro (Les Aveux les plus doux, La Mandarine) à Henri Verneuil (Le Serpent), d’Yves Boisset (L’Attentat) à Henri Graziani (Poil de carotte), il poursuit son gros bonhomme de chemin.

Sans heurts ni scandales (sauf celui de La Grande Bouffe, de Marco Ferreri, 1973), Philippe Noiret tord le cou aux amateurs d’étiquettes. Il avait tout fait pour rater la carrière de jeune premier qui ne lui convenait pas, il réussit celle qui lui correspond : sa gueule, sa voix, son ventre le posent en héritier de Raimu ou de Charles Laughton.

La gueule est celle d’un Gargantua ironique, plein de santé et d’une sérénité joufflue. La voix, grave, sait jouer de multiples intonations pour exprimer la jovialité, la colère, l’humour, la gourmandise ou l’incivilité. Le ventre lui octroie une stature imposante de gugusse bourru aux réflexes d’empereur romain, mais qui sait éclater d’un rire énorme et alimenter une faconde inaltérable.

De tout cela jaillit une présence. Hugolien et balzacien à la fois, Noiret n’hésite pas à remettre en cause sa popularité grandissante. Il pourrait reposer ses quatre-vingt-dix kilos sur un trône péniblement gagné et interpréter des fonctionnaires, des bâfreurs, des clochards ou des pères tyranniques. Il préfère, au risque de décevoir, lutter contre le confort en défendant de jeunes metteurs en scène, se mouille pour les aider à monter leur premier film.

Il devient le double de l’un deux. Après lui avoir fait interpréter l’humble artisan de L’Horloger de Saint-Paul (1973), Bertrand Tavernier trouve en lui un "acteur autobiographique". Et de Français moyen, adepte de la salade aux "ouagnons", il le transforme en régent libertin (Que la fête commence, 1975), en notable bourgeois antidreyfusard (Le Juge et l’Assassin, 1976), en shérif peureux faisant sa besogne de justicier avec un machiavélisme débonnaire (Coup de torchon, 1981).

Chaque fois, y compris dans Une semaine de vacances (1980), où l’horloger-Noiret revient faire un clin d’œil autour d’un poulet au vinaigre, c’est Tavernier qui transparaît derrière cette grande carcasse brutale d’apparence : générosité, doutes, incertitudes sur la justice, l’éducation, l’amour ou la religion, vigueur anarchiste qui le porte à casser les vitres, corps incapable de cacher sa tendresse pour un gratin dauphinois ou un haricot de mouton. Un personnage cuirassé contre la douleur que l’on retrouvera dans La Vie et rien d’autre (1989), où, pour interpréter le commandant Dellaplane de la première guerre mondiale, il arbore les décorations de son propre père, qui avait fait Verdun.

Les joyaux italiens

"Noiret est crédible dans n’importe quel contexte social, dans n’importe quel métier", dit Tavernier. C’est-à-dire en écrivain (Le Secret, de Robert Enrico, 1974), adepte de la vengeance expéditive sous l’Occupation (Le Vieux Fusil, de Robert Enrico, 1975), prof de grec à la Sorbonne (Tendre Poulet, de Philippe de Broca, 1977), minable escroc (Monsieur Albert, de Jacques Renard, 1975), assassin belge féru d’Egypte (L’Etoile du Nord, de Pierre Granier-Deferre, 1982), soupirant égaré dans la brousse (L’Africain, de Philippe de Broca, 1982), officier colonial (Fort Saganne, d’Alain Corneau, 1984), flic ripoux (Les Ripoux, de Claude Zidi, 1984), directeur d’hôtel à toque de fourrure (Twist again à Moscou, de Jean-Marie Poiré, 1986), pervers animateur de télé (Masques, de Claude Chabrol, 1987), aristo breton sous la Terreur (Chouans, de Philippe de Broca, 1988), tueur à la retraite (Max et Jérémie, de Claire Devers, 1992), ventripotent d’Artagnan (La Fille de d’Artagnan, de Ricardo Freda, 1994), inquiétant Mazarin (Le Retour des mousquetaires, de Richard Lester, 1989), comédien égocentrique à la Guitry (Le Roi de Paris, de Dominique Maillet, 1995), comédien au bord de l’hospice (Les Grands Ducs, de Patrice Leconte, 1996), vieux ranci (Les Côtelettes, de Bertrand Blier, 2003), papa mourant (Père et fils, de Michel Boujenah, 2003).

A cet impressionnant inventaire, il faut ajouter quelques joyaux, jalons de sa carrière italienne. Il fut l’un des incorrigibles quinquagénaires qui giflaient les voyageurs penchés aux fenêtres d’un train qui s’ébranle dans Mes chers amis (Mario Monicelli, 1975), l’un des officiers du Désert des Tartares (Valerio Zurlini, 1976), le juge de Trois Frères (Francesco Rosi, 1980), l’un des protagonistes de La Famille (Ettore Scola, 1987), le vieux médecin de Ferrare amoureux d’un jeune étudiant dans Les Lunettes d’or (Giuliano Montaldo, 1987), le débonnaire projectionniste de Cinema Paradiso (Giuseppe Tornatore, 1988)...

"Je suis un désolé gai, disait-il, avec peu d’illusions sur la nature humaine." Poignée de main franche et franc-parler, nœud pap’, chemise à rayures, belles godasses et cigare, il aimait afficher son élégance pour protester contre le laisser-aller, "le débraguetté".

Philippe Noiret était marié à la comédienne Monique Chaumette. Il avait obtenu deux Césars, l’un pour Le Vieux Fusil en 1976, l’autre pour La Vie et rien d’autre en 1990.

"Quand je me retourne, lâcha-t-il un jour, je vois quelqu’un qui a fait correctement son métier d’artisan. J’ai fait des films difficiles, peu. Des films pas assez exigeants, peu. La moyenne n’est pas mal : je suis un acteur populaire et j’aime cette idée."

Jean-Luc Douin
Le Monde du 24 novembre 2006




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