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Si Janson m’était conté

Laurent Astin – Entretien avec Claude Colomer

Janvier 2004

Claude Colomer vous êtes professeur agrégé et docteur en histoire. Quelle est l’origine de votre vocation ?
Quand j’étais jeune élève au lycée Arago de Perpignan, j’accompagnais ma mère acheter ses journaux dans une librairie et j’en profitais pour regarder les livres d’histoire.
J’ai donc commencé à acheter des ouvrages bon marché. Puis de fil en aiguille, j’ai constitué une véritable collection. Aujourd’hui encore, je continue à en acheter, ça m’évite d’aller à la bibliothèque. Ainsi, avec 8 000 ouvrages, je possède plus de livres que l’université de Perpignan.
Depuis mon départ à la retraite en 2000, j’habite Latour-de-France, village languedocien des Corbières au pied des châteaux cathares où j’ai passé ma jeunesse. J’ai percé le mur de ma maison afin de transformer l’exsalle des fêtes mitoyenne, ancien cinéma-théâtre, que j’ai acquise pour en faire ma bibliothèque. En plus des livres, j’ai deux autres manies : d’abord les disques (5 000 trente-trois tours et 3 000 CD), ensuite les tableaux car j’en possède 200 dont 100 du peintre Martin Vives.

Votre ouvrage Janson-de-Sailly, histoire d’un lycée de prestige doit paraître prochainement. Comment l’avez-vous conçu ?

Ses 25 chapitres sont répartis en 5 périodes.

1884 à 1919 : la fin de la haute aristocratie, par exemple Armand duc de Gramont que fréquente Marcel Proust.

1919 à 1939 : l’apogée de la grande bourgeoisie avec les familles du monde industriel comme Peugeot, Citroën ou de la culture comme Roger Martin du Gard.
C’est aussi le début de la démocratisation (François Périer, par exemple, était d’origine modeste), l’enseignement secondaire devenant progressivement gratuit au début des années 1930, sous l’impulsion d’Édouard Herriot, ministre de l’Instruction en 1926-1928, après avoir dirigé le Cartel des gauches.

1939 à 1945 : de grands résistants honorent la mémoire de notre lycée : P. Brossolette, J. Bingen, R. Nordling… Deux réseaux existaient : d’une part celui d’Édouard Lablenie, d’autre part celui de l’aumônier Jean Badré – devenant après la guerre aumônier général des armées, puis évêque de Bayeux – que j’ai rencontré. Il faut souligner que la participation de la bourgeoisie à la Résistance a été importante. Le 11 novembre 1940 des lycéens dont beaucoup de jansoniens prirent le risque de déposer une gerbe sous l’Arc de Triomphe et les forces de l’ordre procédèrent à plusieurs arrestations à l’issue de la bagarre.

1945 à 1968 : l’époque du monde « opaque » des affaires – avec les enlèvements du fils Peugeot, de Mme Dassault –, de l’OAS et de la mort accidentelle des fils Malraux. Après un futur président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, le lycée est fréquenté par Lionel Jospin et Laurent Fabius qui deviendront premiers ministres. C’est l’époque des baby-boomers avec les enfants Attali, Bolloré, Dassault, Lagardère. Le souvenir du proviseur Marcel Sire persiste.

1968 à nos jours : Philippe Chatelet fut proviseur après les événements de Mai 1968. Son successeur, Pierre Bour, organise avec l’aide de votre association les manifestations du centenaire de notre lycée en 1984. Rien à voir avec les fastueuses cérémonies du cinquantenaire, c’est plutôt l’aspect convivial qui domine ; le président de la République est représenté par Jacques Attali. François Mitterand viendra en 1994 commémorer le cinquantième anniversaire de la mort de Pierre Brossolette. Yvette Cluzel est demeurée proviseur de 1988 à 2002, effectuant d’importants travaux portant en particulier sur la toiture et les façades. Je suis heureux qu’Anny Forestier, proviseur depuis deux ans, ait décidé la célébration des 120 ans de Janson l’année prochaine.

Quelles ont été vos sources ?
Pour la première période, j’ai recueilli les témoignages du bâtonnier Bondoux, chef d’état-major du maréchal de Lattre, de l’égyptologue Jean-Philippe Lauer, de l’avocat Jean Larroque et de son frère, Pierre, créateur de la Sécurité sociale.
La deuxième période est illustrée par 275 témoignages écrits ou oraux. La lecture des Mémoires de Réjane et du livre de Jacques Porrel, « fils de Réjane », ancien élève, m’a été utile. Monsieur Drouin professeur de philosophie et beau-frère d’André Gide m’a fourni de précieux renseignements sur cette période.

Classe enfantine (cours préparatoire) en 1936. Janson a accueilli, jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, des classes du primaire.
Document Jacques-René Kramer. DR.

J’ai retrouvé plusieurs héros de la Résistance et compagnons de la Libération anciens de Janson.
Je n’ai pas trouvé de documents aux archives de la Ville de Paris, boulevard Sérurier, car rien n’y a été déposé. Les archives du lycée, qui avaient beaucoup souffert en raison du mauvais état de la toiture, furent détruites ; c’est vraiment dommage. Pierre Bour avait donné l’ordre de garder uniquement les archives en bon état, que j’ai pu heureusement consulter lors d’un déménagement des combles.
La consultation du Who’s Who m’a été très utile et j’ai également feuilleté le Bottin mondain.

Le lycée reçoit régulièrement des anciens élèves étrangers lors de leurs séjours en France. Quelles sont les visites qui vous ont particulièrement marqué ?
Il est vrai que Janson-de-Sailly est, en quelque sorte, devenu le premier lycée international français.
Félix Rohatyn ancien ambassadeur des États-Unis en France a remis à Yvette Cluzel son bulletin de notes de 7e. C’est pendant son séjour parisien qu’il est devenu un adversaire de la peine de mort.
Lennart Meri, président de la République d’Estonie, est venu à Janson. Il a donné son bulletin de notes de 9e à Yvette Cluzel. Il avait gardé ce bulletin sur lui pendant sa déportation dans les camps staliniens entre 1941 et 1946. Lors d’une nouvelle visite, il fut très ému de constater que celle-ci l’avait affiché dans son bureau et de retrouver sa salle de classe où il montra l’emplacement de sa table.
Zaher Shah, roi d’Afghanistan, ainsi qu’un membre de la dynastie Tata, grands industriels hindous, sont revenus visiter le lycée.
Des soldats américains, ayant participé au débarquement de 1944 en Normandie, ont visité Janson avec émotion cinquante ans après.

Pourquoi avoir choisi Janson pour enseigner ?
Après mon service militaire, j’ai commencé ma carrière en 1963 au lycée international de Fontainebleau :
les enfants des militaires du SHAPE étaient mes élèves, j’avais accès au magasin du mess des officiers ce qui m’a permis d’acheter de nombreux disques à bas prix. En 1967, le général De Gaulle ayant rompu, un an plus tôt, avec l’OTAN et les enfants ayant suivi leurs parents à Bruxelles, il a fallu me trouver une nouvelle affectation. J’étais prioritaire et je souhaitais aller à Paris. Un poste s’est libéré à Janson que j’ai accepté. J’y suis resté de septembre 1967 jusqu’à ma retraite en juillet 2000 – soit 33 ans ! –, m’y plaisant beaucoup.

Qu’est-ce qu’un bon pédagogue ?
Celui qui sait faire passer à ses élèves le goût d’apprendre.
 

Cette brochure de 100 pages donnait la liste des lauréats des prix, classe par classe et matière par matière.

Document Jacques-René Kramer. DR.

À ce propos, j’ai fait partager ma passion du baroque le premier trimestre de l’année scolaire aux élèves et à leurs parents en organisant des visites guidées parisiennes. Nous admirions surtout Saint-Paul, Saint-Louis et le Val-de-Grâce. Les 2e et 3e trimestres étaient consacrés respectivement au Paris classique et au Paris napoléonien. J’étais très heureux d’obtenir l’adhésion des lycéens à mon projet culturel.

Quelles sont les qualités d’un bon élève ?
Être calme, à l’écoute, attentif à ce que dit le professeur et l’interpellant s’il ne comprend pas. Il doit avoir l’esprit ouvert en permanence et la volonté d’apprendre. Des élèves doués peuvent s’impatienter, estimant que certains de leurs camarades ne comprennent pas assez vite et font perdre du temps. Ce n’est pas bien de s’énerver ainsi. En effet, le rôle de l’enseignant est de se mettre à la portée de tout le monde.

Avez-vous pressenti la réussite de certains élèves ?
Certainement, et je leur conseillais des ouvrages pour enrichir leurs copies du fruit de lectures. Donner des compléments en dehors de la classe est très important : par exemple, je me souviens d’un élève à qui j’ai recommandé la lecture de Duroselle sur la Grande Guerre.
 

Quel est votre meilleur souvenir de Janson ?
Évidement être promu officier des Palmes académiques m’a fait plaisir, mais c’est surtout la réussite d’élèves aux examens, par exemple l’accessit d’histoire au concours général.
J’ai aussi beaucoup apprécié la présence d’Yvette Cluzel comme proviseur. Par ailleurs, je garde un très bon souvenir des voyages avec les élèves notamment celui en Grèce avec Olivier Dassault : au retour, les intempéries nous avaient obligés à atterrir à Bruxelles et une panne de car nous immobilisa sur le site de Waterloo ; le petit-fils du célèbre avionneur se proposa alors d’appeler son grandpère pour envoyer des Mirages afin de rapatrier le groupe ! Le proviseur Chatelet, qui nous accompagnait, me regarda stupéfait ; finalement le véhicule fut réparé nous reprîmes la route après que j’eus expliqué sur le terrain le déroulement de la bataille.

Y a-t-il un style jansonien ?
C’est un bonheur d’enseigner dans ce lycée car il est à part. Il y a un « esprit Janson » chez les professeurs comme chez les élèves. À l’occasion des voyages que j’ai organisés ce comportement a même influencé des personnes extérieures. Les professeurs retraités aiment se retrouver au restaurant près du lycée le lundi pour évoquer les bons moments. Pour certains, c’est un lycée de fin de carrière, on s’y plaît et on souhaite rester longtemps ensemble. Les élèves, souvent à l’abri des problèmes matériels, peuvent acheter les ouvrages recommandés, étudier facilement. Il faut entretenir des rapports cordiaux avec les parents, mais garder ses distances en refusant, par exemple, les dîners en ville. Pour les sociologues Monique Pinson-Charlot et Michel Pinson, ces « bourgeois du XVIe » forment une tribu à part, un monde en vase clos cultivant les valeurs traditionnelles. Ce milieu se défend contre certains aspects du changement et l’arrondissement constituerait l’un des derniers bastions de la « bourgeoisie ».

Quelle leçon tirez-vous de votre carrière ?
Une leçon d’humilité, car c’est une chance par rapport à mes collègues d’établissements moins favorisés d’avoir enseigné dans un milieu si agréable.




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L’Association amicale des anciens élèves du lycée Janson-de-Sailly, Les Jansoniens (AEJS), existe depuis 1891, sept ans après l’ouverture du lycée. Fidèle à la tradition de Janson qui a toujours cultivé l’excellence, le pluralisme, et porté haut les valeurs de la République, solidement ancrée dans les réalités du monde contemporain, Les Jansoniens sont délibérément tournés vers l’avenir, vers celles et ceux qui fréquentent aujourd'hui l'établissement, qui se préparent à animer, vivre et piloter le monde de demain. Les Jansoniens n'oublient pas pour autant celles et ceux "qui sont passés par Janson", ravis de retrouver avec Les Jansoniens des amis, un climat, une ouverture et une communauté d'esprit qui ont marqué de leur empreinte leur personnalité.

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